ENVIE D\'AILLEURS...

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L'Europe par le bas

Jean-Claude Guillebaud*
 
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Le temps qu'il fait....L'Europe par le bas.
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*Morceaux choisis d'un excellent papier écrit par JC Guillebaud dans TéléObs.


Sur toutes les télévisions d'Europe triomphent la même vulgarité, la même bêtise, le même néant.
On dit que l'Europe est en panne. C'est à voir. Quiconque s'intéresse à l'audiovisuel et voyage un peu constate -hélas- qu'un formidable processus d'unification est en cours. Je pense au mascaret de bêtise vulgaire et de flonflons grotesques qui submerge depuis plusieurs années le Vieux Continent. Pour s'en assurer, il suffit de procéder un soir d'étape à Fribourd, Rome, Lisbonne ou Tieste, à une expérimentation toute simple . un modeste zapping trans européen.
Depuis sa chambre d'hotel, on visite ainsi les télévisions de Berlusconi en Italie, les chaines privées allemandes, autrichiennes, néerlandaises ou espagnoles. Et très vite on est proprement sidéré par l'impression d'uniformité q'on éprouve. En temps ordinaire, seul le compartimentage national de nos habitudes nous empêche de prendre la  mesure de ce désastre là.  Il est avéré.
C'est clair. Pour une large part et toutes chaînes confondues, l'univers hertzien communautaire est désormais colonisé par une même foire criarde et compulsive où prévalent paillettes à deux sous, jeux infantiles, sourires publicitaires, confessions lamentables et poitrines siliconées.
Ici on fait tourner des roues et des loteries, là on déguise les invités en légumes ou en organes humains, là-bas on déverse sur une dame dévêtue dans une baignoire des crabes et des souris dont la caméra filmera ensuite, en très gros plan, les déambulations.
Partout, on tressaute et l'on applaudit sur ordre, en affichant un ravissement qui fait froid dans le dos. Qu'ils parlent  allemand, italien, flamand ou espagnol, les bellâtres qui font office d'animateurs ont tous un air de famille.
Même démagogie déclamatoire, même sourire calibré et même usage d'on ne sait quel suspense de perlimpinpin dans le but obsessionnel de retenir -à tout prix- le téléspectateur. Marché oblige...
On les croirait venus d'un laboratoire biotechnologique ou d'une fabrique de clones. Ils affichent un brushing standardisé, une impavide jeunesse et une "gentillesse" carnassière. Les couleurs dominantes, elles aussi se ressemblent. Est-ce l'effet de la vidéo? Partout on nage dans des roses agressifs, des jaunes chimiques, des rouges acidulés. Plus grand chose n'est réel ni même vraisemblable dans ces enceintes hystériques que l'on découvre l'une après l'autre, au bout de sa télécommande.
A force, on tente de se morigéner soi -même, en convoquant, posément, les arguments convenus. Du genre . allons, ne cédons pas à l'élitisme! La distraction au sens large, est un droit de l'homme. Dans une Europe en paix- et prospère-, les foules ont bien droit aux réjouissances, aux jeux, aux rigolades sans prétentions. De quel droit jouerait-on au rabat-joie en invoquant la culture au sens élitiste du terme? L'ennui c'est que ces arguments ne pèsent pas lourd. Pour autant qu'on s'en souvienne, les cultures et réjouissances populaires de jadis ne procédaient pas d'un tel abrutissement consenti. Ni à la ville, ni aux champs, ni dans les fêtes ouvrières on n'atteignait au même néant. Qu'il s'agisse de kermesse villageoises ou de frairies citadines, la mémoire collective ne garde pas au souvenir d'une prévalence aussi énigmatique de la vulgarité mentale.
Il y a bel et bin un phénomène nouveau, une création sui generis, un "empire du crétin" directement produit par l'alliance d'un outil nouveau (la télévision) et d'un mécanisme déchaîné (le profit). Nos graves débats sur le rôle compensatoire des chaînes de service public prêtent à sourire au regard d'un phénomène aussi massif: l'engloutissement irrémédiable de la vieille Europe dans une très jeune bêtise..."
 
Jean-Claude Guillebaud "Ecoutez voir" Nouvel Obs


03/05/2008
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